Il y a ces moments dans la vie d’artiste où l’on sent le besoin de bousculer ses habitudes. Où les murs de notre atelier, aussi familiers soient-ils, semblent rétrécir autour de nos gestes devenus trop prévisibles. C’est précisément ce sentiment qui m’a poussée vers l’Andalousie la semaine dernière, pour une immersion créative.

Pourquoi quitter la sécurité de son atelier ?

Les expositions nous nourrissent, les rencontres nous inspirent, mais parfois, il faut aller plus loin. Oser le déracinement total. Se retrouver face à l’inconnu – nouvelles personnes, nouveau lieu, nouvelles approches. C’est dans cette rupture que réside la promesse d’un renouvellement. Une façon de ne jamais perdre de vue l’essence même de pourquoi je peins.

Là où les mondes se rencontrent

L’Andalousie nous a accueillis – dix artistes venus de France, d’Espagne, d’Allemagne, d’Autriche, de Suisse et des États-Unis. Dix univers différents réunis sous le regard bienveillant d’Olivier Schneider et Karina OTHER, nos guides dans cette aventure.

La plage sauvage de Bolonia est devenue notre source d’inspiration. Cette rencontre entre l’ocre de la terre et le bleu profond de l’Atlantique résonnait étrangement avec ma propre dualité artistique – cette frontière que je croyais infranchissable entre abstraction et figuration.

Les premiers pas : apprivoiser l’inconfort

Les premiers exercices nous ont déstabilisés. Contraintes de couleurs, médiums imposés, durée limitée… On s’applique, on veut bien faire. On observe les autres du coin de l’œil. On se juge. On compare.

Mais rapidement, quelque chose se transforme. Les pigments en poudre nous obligent à repenser notre relation à la matière. L’encre nous enseigne l’art de l’inattendu. Le papier devient un refuge où l’eau raconte sa propre histoire.

La libération par le processus

Les heures défilent. Après l’atelier, nos discussions se prolongent autour des repas partagés. Les après-midis libres nous permettent de nous immerger dans cette nature Andalouse, de nager dans l’océan qui, comme notre créativité, est en perpétuel mouvement.

Jour après jour, les barrières tombent. On prend les exercices sans résultat défini, juste pour le plaisir du geste. Le regard des autres ne nous affecte plus. On crée pour créer, pour partager, pour s’évader, pour se connecter.

L’envol artistique

Et puis, sans prévenir, ça arrive. Ce moment où l’on perd la notion du temps. Où l’on passe aux toiles plus grandes sans même s’en rendre compte. Où les bleus s’étendent comme la mer et les blancs éclaboussent comme l’écume sur les rochers.

On est vidé, rincé, et paradoxalement allégé. L’écriture du tableau devient limpide. On structure l’œuvre comme une histoire – un décor, une intrigue, un temps calme, un rebondissement, un final.

La réconciliation des contraires

C’est là que j’ai compris : il n’y a pas de frontière entre abstrait et figuratif quand on peint avec l’émotion. On ne cherche plus à dominer l’immensité, mais à danser avec elle, comme ces kites qui virevoltent dans les vents de Tarifa.

Dans ce dialogue avec l’horizon, j’ai retrouvé l’essence même de ma démarche artistique. Cette quête d’équilibre entre le contrôle et l’abandon, entre la structure et la spontanéité.

Le retour, transformée

Je repars avec cette certitude nouvelle : l’océan peut nous faire peur, mais c’est en l’observant qu’on apprend à se connaître. L’immersion créative n’est pas qu’un simple stage, c’est une plongée en soi-même.

Dans mon atelier Catalan, les ganivelles que je peindrai désormais ne seront plus simplement des barrières de bois sur une plage – elles seront le symbole de ces passages entre deux états d’être, entre deux mondes que j’ai appris à réconcilier.

Car au fond, n’est-ce pas là tout l’art de créer ? Transformer nos peurs en beauté, nos doutes en exploration, notre chaos intérieur en harmonie visuelle.

Aline Chevalier, artiste peintre
Immersion créative, Andalousie – Juin 2025